« Gauthier Pasquet », l’avatar qui défend la France au Sahel


Image tirée d’une capture d’écran du compte Facebook de l’état-major général des armées burkinabées datée du 23 février 2023.

L’homme agace les juntes au pouvoir au Sahel et attise la curiosité de leurs adversaires. Gauthier Pasquet n’est pourtant pas une vraie personne mais un avatar. Depuis, le faux compte aux 29 400 abonnés, détracteur acerbe des régimes militaires sahéliens et défenseur inconditionnel d’une France pourtant de plus en plus mal-aimée dans la région, ne cesse de faire parler de lui. Au point que ses publications – mélange de réelles informations ultra confidentielles et de fausses nouvelles visant à déstabiliser les régimes en place – ont déjà fait réagir les gouvernements et les états-majors des armées de ces pays.

Ce « troll » est l’illustration d’une guerre informationnelle qui ne cesse de croître au Sahel, alors que les juntes au pouvoir, souvent appuyées par la machine russe, ont placé la critique de la politique française au cœur de leur propagande afin de souder le peuple derrière elles. Ainsi, « Gauthier Pasquet », s’est senti investi d’une mission : redorer le blason français et critiquer les militaires au pouvoir au Sahel.

L’identité du ou des administrateurs de ce compte reste un secret bien gardé. Sur son profil, « Gauthier Pasquet » se présente comme un journaliste indépendant, cite la chaîne musicale « RFM TV » et affiche la photo d’un reporter turc. Sans surprise, le média a affirmé ne pas connaître de Gauthier Pasquet tandis que le journaliste – qui s’avère être Can Dündar, un opposant au régime du président Recep Tayyip Erdogan – a réclamé à l’avatar qu’il retire la photo usurpée. En vain.

« Par passion »

Le compte a conservé ses références et continue de jouer au poker menteur, alimentant les fantasmes en Afrique de l’Ouest. Pour les uns, « Gauthier Pasquet » est rattaché aux services de renseignement français, tandis que d’autres l’apparentent à la présidence de la Côte d’Ivoire, allié de poids de Paris dans la sous-région.

« C’est archi faux ! », rétorque d’emblée l’administrateur – ou un des gestionnaires – de ce compte. Car Le Monde a pu joindre longuement « Gauthier Pasquet » le 25 mai par téléphone : sa voix masculine a un accent africain et s’exprime dans un français soutenu. Il affirme ne pas avoir « attendu la France ou un quelconque soutien pour défendre les pays réputés comme étant des valets de l’impérialisme français », dit-il, en référence à la Côte d’Ivoire et au Niger.

Capture d’écran du compte Twitter de l’avatar « Gauthier Pasquet » datée du 1er juin 2023.

L’homme au bout du fil dit nous appeler « depuis l’Afrique », sans vouloir préciser davantage sa localisation. Quelle est sa nationalité, son âge, son métier, ses soutiens ? « Je suis un citoyen amoureux du monde libre. Un cyberpatriote qui agit seul, par passion », s’enorgueillit-il seulement en riant.

Tout juste concède-t-il ne pas être journaliste, mais plutôt « un spécialiste en communication à la base », dont les bonnes entrées au sein des milieux politiques et sécuritaires ouest-africains lui permettent d’obtenir des informations confidentielles sur les juntes burkinabée et malienne dont il considère la gestion de l’Etat « catastrophique ».

« Hommage à l’astronaute »

L’avatar « Gauthier Pasquet » s’est déployé sur Twitter début août 2022. Au Mali, l’affaire des 46 soldats ivoiriens, détenus depuis mi-juillet par les militaires au pouvoir qui les accusent de vouloir déstabiliser le pays, lui sert de tremplin. Sur le réseau social, le troll crie à la « prise d’otages » et commence à multiplier les posts contre la junte.

Il n’est alors en ligne que depuis quelques jours, mais le compte a déjà eu trois vies auparavant, comme l’ont révélé les Observateurs de France 24 dans une enquête publiée en novembre 2022. A la création du compte en août 2021, une vingtaine de tweets sont en effet postés par le même identifiant Twitter mais sous le nom « ONG_Sharing », une structure créée, selon nos confrères, par un proche de l’ex-premier ministre ivoirien Guillaume Soro, ancien proche de l’actuel président Alassane Ouattara, devenu depuis l’un de ses farouches rivaux.

Entre le printemps et l’été 2022, le compte se renomme « Petit Ladji » et tweete là encore principalement sur l’actualité ivoirienne. Le 31 juillet, toujours selon France 24, il se renomme le temps d’une journée « Norbert Navaro », du nom du journaliste de RFI qui anime la revue de presse, avant de changer de nom pour « Gauthier Pasquet », en hommage, selon l’intéressé, à Thomas Pesquet, « l’astronaute français le plus connu du monde ».

Au Mali, l’actualité est alors marquée par le départ des soldats français de l’opération antiterroriste « Barkhane », poussés au départ par la junte (ils quittent le pays en août 2022) après des mois de brouille diplomatique. Les mercenaires du groupe paramilitaire privé russe Wagner ont débarqué dans le pays fin 2021 et, à Bamako, les accusations présentant Paris comme complice des groupes djihadistes se multiplient.

« Amoureux du modèle français »

Sur Twitter, « Gauthier Pasquet » voit son nombre d’abonnés grimper en flèche grâce à ses publications défendant l’action de la France au Sahel. « Il faut être peu lucide pour ne pas être amoureux du leadership et du modèle de démocratie, économique et éducatif français, qui a beaucoup apporté à l’Europe et à l’Afrique », estime-t-il, non sans un certain sens de l’exagération.

Le discours a de quoi séduire Paris, dont les actions sont systématiquement ciblées par la propagande des régimes militaires sahéliens. Le troll affirme d’ailleurs avoir « reçu des propositions et des conseils » de la part de « diplomates français » pour orienter ses communications. « J’ai décliné et il n’y a jamais eu de proposition financière », s’empresse-t-il de préciser.

Ses publications semblent en tout cas déranger les juntes malienne et burkinabée. Le 23 février, l’avatar a diffusé une fausse capture d’écran du site du ministère de la défense du Burkina Faso pour annoncer le « bilan effroyable » des attaques djihadistes qui avaient visé, quelques jours plus tôt, les militaires burkinabés engagés à Déou, Oursi et Tin-Akoff, dans le nord du pays : « Au total, 155 militaires tués », annonce « Gauthier Pasquet » sur Twitter.

Capture d’écran du compte Facebook de l’état-major général des armées burkinabées du 23 février 2023.

Immédiatement, le ministère alerte les internautes sur sa page Facebook qu’il s’agit d’un « grossier montage », d’une « fake news ». Officiellement, le gouvernement avait dressé un bilan de 51 soldats tués le 17 février lors de l’embuscade entre Déou et Oursi… sans communiquer sur l’attaque qui avait pourtant bien ciblé les soldats burkinabés à Tin-Akoff, trois jours plus tard.

« Pas mal de contre-vérités »

Au Mali voisin, le 17 août 2022, le compte relaie des propos qu’il attribue à l’ex-président de la junte Bah N’Daw, renversé en mai 2021. Dans un tweet, il affirme que l’ancien homme fort de Bamako « s’insurge » contre les méthodes de « manipulation des Maliens » mises en place par le gouvernement. Dans la foulée, son intox fera l’objet d’un démenti de la part du cabinet de Bah N’Daw, lu en direct au journal du soir de la télévision d’Etat.

L’administrateur du compte assume quant à lui ses méthodes et reconnaît qu’il y a « souvent pas mal de contre-vérités » dans ses publications. L’objectif : « Enerver ceux qui sont en face. Quand vous partez à la guerre avec des armes et qu’on vous tire dessus, soit vous répliquez, soit vous mourrez. C’est comme ça aussi dans la communication. »

Fin mai, l’avatar est passé à la vitesse supérieure en créant trois groupes WhatsApp sur l’actualité burkinabée. En quelques jours, plus de 1 500 personnes les ont rejoints. Et « Gauthier Pasquet » ne compte pas s’arrêter là. « Je serai partout là où ma conception de la démocratie sera menacée », annonce-t-il, la voix rieuse. L’administrateur affirme être tout juste rentré du Sénégal, où les tensions politiques ne cessent de monter. « Un séjour personnel, qui n’a rien à voir avec la situation actuelle du pays », prétend-il. « Enfin pas encore. »

Écouter aussi Derrière l’enlèvement d’Olivier Dubois, le « jeu trouble » de l’armée française


Source
Catégorie article Politique

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.